Imaginer le futur

Forest fire in Klondike.

Imaginer le futur : Théâtre, réalisme magique et réchauffement climatique

par Adjani Poirier

Le Théâtre Centaur a invité Adjani Poirier à faire part de ses idées à propos du lien entre les changements climatiques et la création théâtrale dans le cadre de la pièce A Play for the Living in a Time of Extinction de Miranda Rose Hall, présentée au Théâtre Centaur en 2022. Nous partageons à nouveau son écriture en préparation de l’adaptation français de Sarah Jane Moloney, Une pièce pour les vivant·e·x·s en temps d’extinction, qui joue au Théâtre La Licorne du 18 septembre au 6 octobre dans le cadre de notre programmation Centaur+.

Les changements climatiques me font peur. Comme un monstre qui se cache dans le noir, menaçant et effrayant. C’est un problème immense qui exige des réactions immenses et qui m’envahit d’un sentiment d’impuissance, d’incertitude et de blocage. 

L’océan va-t-il se déchaîner et m’emporter? Peut-être… 

L’océan va-t-il se déchaîner et m’emporter moins loin si j’achète des ampoules écoénergétiques? Difficile à dire…

La plupart du temps, je ne sais pas comment réagir à cette catastrophe qui me dépasse complètement. Quand l’accablement me submerge, je me tourne vers les contes pour retrouver un sens au monde dans lequel je vis. 

Pour citer Nalo Hopkinson, artiste queer qui écrit de la science-fiction,

« les personnes marginalisées ont besoin d’un monde meilleur, comme tout le monde, bien sûr, mais les personnes qui vivent en marge de la société en ont fortement besoin, et pour arriver à améliorer le monde, il faut d’abord être capable d’en imaginer un meilleur. »

Ha! J’adore cette idée! Et comme femme queer, cela résonne profondément en moi! 

Nalo Hopkinson: Who gets left out of the future? de TED Ideas par Vimeo.

Cette idée est liée à la question des changements climatiques, d’abord parce qu’ils touchent de manière disproportionnée les personnes marginalisées et ensuite, parce que la quête de solutions pour traiter cette question exige beaucoup d’imagination.   

Donc, comment pouvons-nous imaginer le futur?

Comme dramaturge, je me sers de mon art pour imaginer l’avenir à travers les histoires que je raconte sur scène. 

Le théâtre a toujours été mon moyen préféré pour m’aider à comprendre l’histoire, à décortiquer les questions épineuses et à gérer les émotions pénibles. 

Dans ma pièce Still Gay When I’m Not In Love, je fais appel au réalisme magique pour explorer la question des changements climatiques et demander ce qui arriverait si la planète choisissait de donner une leçon à l’humanité : 

« LA TERRE EN A ASSEZ! Ce sont ses mots, pas les miens. Mais je ne peux qu’être d’accord. Ou du moins, je le serais, si je ne devais pas faire preuve d’impartialité, comme c’est le cas. Elle n’en pouvait plus de supporter les abus que les êtres humains lui faisaient subir. Alors elle s’est immolée. Elle a mis le feu à son corps planétaire et brûlera pendant 24 heures, puis ELLE RENAÎTRA DE SES CENDRES! »

Still Gay When I’m Not In Love, Adjani Poirier

Ce sont les mots du personnage de l’Ange de la Mort, magnifique bureaucrate céleste. Ces mots s’adressent aux humains, qui ont tous été poussés brusquement dans une sorte de purgatoire, parce que notre chère planète a décidé qu’elle en avait marre de nos combines pour détruire l’environnement.  

Lorsque les humains retourneront à cette planète neuve à l’image du phénix, ils auront l’occasion de tout recommencer : nouvelles structures sociales, nouvelles conceptions de la communauté, nouvelles façons de diriger… La question que la pièce pose alors est la suivante : face à la crise climatique qui ne cesse de croître, que pouvons-nous faire pour léguer un avenir meilleur aux prochaines générations?

A midday forest fire sun in the Yukon, photo by Adjani Poirier
Soleil enflammé de mi-journée en pleine forêt du Yukon. Photo : Adjani Poirier

Alerte au divulgâcheur : la pièce n’a pas la réponse. Mais elle soulève des questions qui favorisent une discussion nourrie de réflexions, de sentiments, de peurs et d’idées que les gens ont à propos des problèmes liés à la crise climatique.

Les histoires façonnent notre conception de l’avenir.

La beauté du théâtre, c’est son côté collaboratif. Il réunit le talent d’artistes de différentes sphères pour créer un objet artistique. Puis, il invite le public à recevoir et à vivre ensemble l’expérience de la proposition théâtrale. L’acte de raconter des histoires sur scène nous permet de mieux comprendre le monde dans lequel on vit d’une manière connectée, ludique, mais aussi dérangeante. C’est l’antidote parfait au stress provoqué par la pensée néolibérale selon laquelle ce sont nos actions individuelles qui décideront de l’avenir de notre planète. 

Les histoires façonnent notre conception de l’avenir. Elles nous touchent, nous transforment, nous secouent, nous forcent à nous poser des questions complexes qui ne se répondent pas simplement par oui ou non. Elles sèment des idées de ce qui est possible et proposent des chemins à suivre, mais aussi orientent notre regard sur ce qui s’offre à nous en cours de route.

Le fait de raconter des histoires au théâtre me donne l’impression de faire partie de quelque chose de plus grand que moi.

Le théâtre me permet de rêver au-delà de ma propre réalité.

Le théâtre est un courant électrique qui nous conduit ailleurs en allumant l’étincelle de notre imagination. 

Et je crois profondément que l’imagination est la clé pour arriver à bâtir un monde meilleur et entrevoir l’avenir avec espoir.


Adjani Poirier est une artiste de théâtre queer qui vit et écrit dans sa ville natale de Tiohtiá:ke/Montréal, où elle étudie l’écriture à l’École nationale de théâtre du Canada. Ses pièces comprennent Scorpio Moon, présentée par le Théâtre Centaur et Playwrights’ Workshop Montréal dans le cadre de la Série de lectures Queer 2022; Celebrity Dogs, dans le cadre du projet national Plays2Perform @ Home de Boca del Lupo; Still Gay When I’m Not In Love; ainsi qu’On Life and Living: A History of AIDS Community Care Montreal. Elle a organisé l’édition 2021 de QueerCab, en collaboration avec Buddies in Bad Times Theatre.