Bravo Chuck Childs

Depuis plusieurs décennies, Chuck Childs est un ardent défenseur de la communauté théâtrale anglophone de Montréal. Comme directeur général du Centaur Theater, il a joué un rôle de chef de file des arts de la scène dans la métropole. Sa passion et son dévouement à la dynamique communauté artistique de cette ville et ses efforts pour créér un rapprochement avec nos collaborateurs francophones lui ont valu le prestigieux Prix Sentinelle attribué par le CQT (Conseil Québécois du Théâtre).

Le Centaur est fier d’avoir Chuck au cœur de son organisation. Rose Plotek l’a rencontré pour parler de sa vie au théâtre et de ce que représente ce prix du CQT.


Qu’est-ce qui vous a amené à consacrer votre vie au théâtre?

Je pense que l’école n’était pas une idée particulièrement bonne pour moi. Dans mon bulletin scolaire, mon professeur de neuvième année avait écrit « L’école est-elle vraiment la meilleure place pour Charles? » Les choses ont commencé à changer quand j’ai suivi des cours en arts industriels où on travaillait le bois et le métal et, la deuxième année, il y avait des cours en dessin technique. Un jour, ce professeur m’a donné ses clés, m’a dit de prendre les outils dont j’avais besoin pour aller sur la scène poser les poignées sur les quatre portes du décor de la pièce Harvey. C’était génial! Je  préférais ça au cours en classe. Je n’ai pas terminé de poser les poignées pendant cette période, mais il a signé une autorisation pour que je finisse pendant les prochains cours. Là, j’ai vraiment accroché! J’ai ensuite travaillé avec l’équipe technique pour ce spectacle. Mais ça n’a pas amélioré mes résultats scolaires…

J’ai fini par devenir pensionnaire dans une école privée et c’était la meilleure chose pour moi. Deux mois après, je construisais déjà le décor pour Oliver les dimanches dans le sous-sol de la chapelle. J’ai fait la régie scénique du spectacle et à partir de ce moment, j’étais impliqué dans tout ce qui touchait au théâtre. Cette école avant-gardiste m’a fourni un grand soutien. Quand j’ai eu à décider si je devais continuer pour devenir un ingénieur civil, métier pour lequel j’ai toutes les aptitudes, j’avais le choix entre Waterloo, qui offrait la meilleure formation d’ingénieur civil du pays, mais il fallait cinq ans pour obtenir le diplôme, OU il y avait à Ryerson un tout nouveau programme en techniques scéniques qui durait seulement deux ans!

Childs au gala Centaur Soirée en 2018.

Mon père m’a demandé « C’est vraiment ce que tu veux faire? » et j’ai répondu « Oui, j’aime vraiment ça et je veux faire un travail que j’aime ». Il a ajouté « Ce n’est pas la profession qui te garantira une sécurité et je pense que ça ne paie pas très bien. J’ai remarqué que tu aimes le bon vin et la bonne nourriture, es-tu certain que c’est ce que tu veux réellement faire? » J’ai dit « Ce sera bien parce que chaque matin je me lèverai et je VOUDRAI aller travailler. » Et mon père a dit « Très bien alors! »

J’ai donc suivi le cours en production à Ryerson. En fait, c’était la première année que cette formation se donnait. Après deux ans, j’ai commencé à travailler dans le domaine. J’ai été incroyablement chanceux car j’ai été sans emploi seulement quatre semaines pendant les cinquante-sept dernières années!

Chuck Childs et Anne Clark

Comment a débuté votre parcours en théâtre à Montréal?

J’ai commencé au Centre Saidye Bronfman (aujourd’hui le Centre Segal) comme régisseur. Quand l’assistant-régisseur est parti, mon patron a engagé une femme, Anne Clark, qui avait passé une année en formation au Banff Center. Lors du premier spectacle que nous avons fait ensemble, il était évident qu’elle était une meilleure régisseuse que je ne le serais jamais, alors elle a repris mon poste et je suis devenu directeur de production pour la compagnie et j’y suis resté cinq ans. Pendant cette période, j’ai demandé à cette régisseuse de m’épouser et, heureusement pour moi, elle a accepté!

À la même époque, Maurice Podbrey (le directeur artistique fondateur du Centaur) m’a appelé pour me dire qu’il cherchait un directeur de production. Le Centaur venait de finir sa neuvième saison et effectuait des rénovations à son bâtiment depuis quatre ans. J’ai rejoint l’équipe du Centaur en début de saison pour leur dixième anniversaire.

Fondateur du Centaur, Maurice Podbrey et le Directeur général Chuck Childs

J’ai été directeur de production jusqu’au début des années ’90, moment de nombreuses transitions. Pendant cette difficile période, le gouvernement a coupé beaucoup de subventions et nous n’avons eu aucune augmentation de nos revenus. Nous avons malheureusement dû réduire les ressources de notre organisation et congédier certaines personnes. J’ai dit à Maurice qu’il avait besoin d’un directeur général qui verrait à ce que le travail de ces personnes soit pris en charge par d’autres. Maurice m’a répondu « Excellent; tu fais ça! »

Vous prenez part aux actions de divers éléments de la communauté théâtrale en dehors du Centaur : avec le PACT (Professional Association of Canadian Theatre), avec ELAN (English Language Arts Network) et vous avez enseigné au NTS (National Theatre School). Pourquoi est-ce important pour vous d’être impliqué dans ces organismes?

Ça vous paraîtra peut-être cliché, mais on attend beaucoup de ceux à qui on donne beaucoup. Je me sens chanceux et, un peu comme un leader dans la communauté anglophone montréalaise, j’ai la responsabilité de faire ce que je peux pour soutenir la communauté, pour mettre en valeur le théâtre et les arts dans cette ville, pour encourager les générations futures.

…j’ai la responsabilité de faire ce que je peux pour soutenir la communauté, pour mettre en valeur le théâtre et les arts dans cette ville, pour encourager les générations futures.

Que signifie ce prix du CQT pour vous? Vous êtes le premier anglophone à recevoir ce prix, quelle importance cela a-t-il?

Je dois dire que j’étais totalement étonné et très, très honoré. Il y a dans la culture québécoise des gens impressionnants qui ont reçu ce prix dans le passé et être le premier anglophone signifie beaucoup. Ça m’a beaucoup touché. J’ai été très ému par cette reconnaissance du CQT parce que le rapprochement entre les communautés anglophone et francophone est l’une des choses sur lesquelles j’ai travaillé le plus fort, et cela est arrivé même si je ne parle pas vraiment bien le français. Je le parle mieux maintenant qu’il y a dix ans et jusqu’à la pandémie, nous avons eu des cours de français deux fois par semaine, ici au théâtre, ce qui a beaucoup aidé.

J’ai travaillé très fort pour essayer de comprendre le système francophone (français), comment il évolue, et en même temps, essayer d’articuler comment notre propre système fonctionne et comment il a évolué. Aujourd’hui je sens que ce rapprochement se fait, maintenant plus que jamais.

J’ai toujours trouvé dommage que nous ne travaillions pas davantage ensemble. Et c’est difficile parce que nos conventions collectives sont différentes et ça signifie que nous travaillons fondamentalement d’une autre manière. Conséquemment, il y a toujours une incompréhension des deux côtés. J’ai travaillé très fort pour essayer de comprendre le système francophone (français), comment il évolue, et en même temps, essayer d’articuler comment notre propre système fonctionne et comment il a évolué. Aujourd’hui je sens que ce rapprochement se fait, maintenant plus que jamais. Je trouve stimulant que le Centaur développe des projets avec des compagnies francophones. Je vois que tout le travail de rapprochement réalisé au fil des années porte fruit.