Entrevue par Barbara Ford
Si vous étiez adepte de la série Unité 9, que Boomerang vous donne votre dose hebdomadaire de rire, que vous avez vu la pièce À présent ou son adaptation anglaise Right Now présentée en Grande-Bretagne, ou que vous avez vu La meute au Théâtre La Licorne, vous connaissez sans doute l’actrice et dramaturge Catherine‑Anne Toupin. En plus de s’être taillé une place parmi les grands noms du showbiz québécois, la créatrice et tête d’affiche de Boomerang est en voie de devenir un visage connu dans le monde anglophone avec la première mondiale de MOB, l’adaptation de sa pièce La meute.

Centaur Stage: Vous avez décroché votre diplôme du Conservatoire d’art dramatique de Montréal en 1999 et vous êtes aujourd’hui une actrice et dramaturge bien connue dont l’œuvre rayonne dans plusieurs langues et plusieurs pays. Comment y êtes-vous parvenue ?
Catherine-Anne Toupin : Il y a très peu de travail pour les nouveaux acteurs qui viennent de terminer leurs études, et encore moins pour les nouvelles actrices, qui se font souvent offrir des rôles de prostituées ou de danseuses. Alors après mes études, j’ai fondé la compagnie Théâtre ni plus ni moins avec mes anciens collègues du Conservatoire Frédéric Blanchette et François Létourneau — aujourd’hui acteurs, metteurs en scène et dramaturges accomplis. C’est à ce moment que j’ai réalisé à quel point il est important d’avoir une voix, surtout quand on est une femme. J’ai commencé à écrire des pièces courtes en 2000, puis j’ai signé ma première pièce d’envergure, L’envie, en 2004. La plupart de mes pièces sont remplies de suspense et d’humour, mais sont aussi troublantes… et elles se terminent parfois très mal [clin d’œil] !
C. S. : Comment MOB a-t-elle fait son chemin jusqu’au Centaur ?
C.-A. T : Eda est l’une des premières personnes que j’ai rencontrées dans le hall après la première de La meute à La Licorne, en 2018. Elle a adoré la pièce et m’a dit qu’elle voulait la présenter au Centaur. J’étais touchée d’entendre les commentaires enthousiastes d’une artiste aussi respectée. Certaines de mes pièces avaient été jouées à l’international, mais jamais au Canada anglais. Eda est donc une ambassadrice de cette pièce depuis le début.
S. C. : Quels ont été certains aspects cruciaux de la traduction de La meute ?

C.-A. T. : Chris Campbell est mon ami depuis 14 ans. Nous avons souvent travaillé ensemble et avons le même sens de l’humour. Puisqu’il y a beaucoup d’humour noir dans MOB, il était essentiel que la traduction saisisse les subtilités de la langue qui captivent le public et le fait s’intéresser à l’histoire et aux personnages. Je savais que Chris réussirait à recréer cet équilibre délicat entre comédie et tragédie.
S. C. : En tant que célébrité, avez-vous déjà été menacée ou harcelée ?
C.-A. T. : Cela ne m’est jamais arrivé personnellement, mais c’est arrivé à Guylaine Tremblay lorsque son personnage dans Unité 9 a pété les plombs après avoir été victime d’abus pendant trois saisons. Le public a complètement rejeté cette réaction, et Guylaine a reçu beaucoup de messages haineux. Cela m’a poussé à interroger ma propre écriture et à me rendre compte que je dépeignais parfois les femmes comme des « victimes » douces et indulgentes. Cela m’a mise en colère contre moi-même, et c’est là que j’ai eu le déclic : il fallait que j’écrive au sujet d’une femme qui refuse d’être une victime. Je ne dis pas que toutes les femmes devraient agir comme Sophie, mais si personne ne le fait, rien ne va changer. La fiction nous permet de nous voir différemment, de réagir différemment. La fiction nous permet de nous voir autrement ; de réagir autrement. Ce n’est pas toujours beau, mais nous devons y faire face, car les récits peuvent nous enseigner des choses que nous devons comprendre sur nous-mêmes et sur le monde.

S. C. : Quel a été votre processus d’écriture ?
C.-A. T. : C’était un peu étrange. Je savais que je voulais jouer sur les préjugés des gens quant aux victimes et aux agresseurs. Mon subconscient m’envoyait des images des personnages. Je voyais un homme et une femme qui jouaient, s’amusaient… jusqu’à ce que l’énergie change. Lorsqu’est venu le temps d’écrire, j’avais déjà une idée claire de l’arc de l’histoire, mais j’ai continué à découvrir les personnages. C’était comme trouver les pièces manquantes d’un casse-tête. Quelques mois plus tard, j’avais ma première ébauche.
S. C. : Cette pièce aurait pu seulement mettre en scène un duo. Que représente le personnage de la tante de Martin ?
C.-A. T : Louise représente le public. Elle nous représente, nous qui ne savons pas vraiment ce qui se passe. Elle est également une intermédiaire qui permet à Sophie d’être à l’aise de louer une chambre. De plus, sa relation avec son neveu nous porte à croire que c’est un bon gars. Nous aimons Martin, et c’est un aspect essentiel de l’histoire.
S. C. : Préférez-vous écrire ou jouer ?
C.-A. T. : Jouer ! C’est pour cela que je laisse les images me gagner pendant des mois avant de commencer à écrire. Le jeu, c’est plus amusant. On est en groupe, on interagit, on s’aide. J’écris des projets dans lesquels je peux jouer, mais ce n’est que la première étape de mon expression. J’aime écrire, car cela me permet d’avoir une voix et de changer les choses, mais une fois qu’un texte est écrit, je passe à la deuxième étape : les répétitions et le travail avec les acteurs et le texte. C’est là que je me sens vraiment dans mon élément.